Une main posée sur la table, elle était là, face à moi. Depuis une heure que nous étions au restaurant, nous n'avions pas eu le courage, ni l'un ni l'autre, de nous avouer mutuellement notre attirance. Ca faisait des mois que je la voyais, ça faisait des mois que nous nous croisions, toujours un mot gentil à offrir, toujours un sourire, toujours un regard qui montre l'envie de juste un peu plus, et toujours un regard en arrière quand nous nous éloignions, juste pour voir la silhouette de l'autre, et son sourire, et son regard, une seconde encore. Ça faisait des mois que tous les jours nous nous croisions, que ce soit sous le soleil, elle, les cheveux au vent, habillée d'un rêve, que ce soit sous la pluie, nos parapluies profitant eux aussi pour lier connaissance, que ce soit dans le froid, nos mots faisant alors de petits nuages. Ca faisait des mois que, jour après jour, nous disions à chaque fois un mot de plus, restant ensemble un instant de plus, nous séparant à regret, mais bien trop embarrassés de notre timidité. Ca faisait maintenant des semaines que nous restions à parler quelques instants, nous nous autorisions même des secondes de silence, sans que naisse la moindre gêne. Il était évident pour tous que nous devions parler, vraiment, nous dévoiler, car la présence de l'autre était devenue indispensable.
Un matin, décidé, je m'apprêtais à lui demander, quelque chose d'inimaginable pour moi, lui demander seulement si elle voudrait accepter de dîner avec moi. A notre heure habituelle, je la vis, loin, sa silhouette se dessinant nettement, reconnaissable entre mille. J'accélérai le pas, ce qu'elle fit au même moment. Je ne la quittais plus des yeux et c'est un sourire merveilleux que je voyais sur son visage, ce visage qui n'était que lumière. Nous étions maintenant tout près l'un de l'autre, nous n'avions pas dit même un mot que nos regards parlaient à assourdir les gens alentour. Le silence ne nous faisait plus peur, il était nécessaire que les mots laissent place à cette autre forme de dialogue, bien plus intense. Elle me dit "oui". J'ai eu un sursaut d'étonnement, je lui demandai "oui à quoi ?", elle me répondit "oui pour dîner ensemble" et nous nous mimes à rire, je ne m'étais même pas rendu compte que je lui avais posé la question. Nous sous séparâmes quelques instants plus tard, marchant à reculons, donnant l'heure du rendez-vous comme une évidence.
Nous étions au restaurant depuis une heure et nous avions chacun parlé de nous-même, posant de temps en temps une question à l'autre, avec l'envie irrésistible de tout connaître, avec une telle timidité que nous n'osions pas poser les "vraies" questions. Le silence se fit, un silence tout à coup gênant, un silence qui ne pouvait être comblé par des mots, un silence qui demandait, un silence qui appelait, un cri silencieux qui était dans nos yeux. Sa main s'avança imperceptiblement sur la nappe, avec dans le regard, cet appel. Je posai ma main sur la sienne, et dans nos yeux, le soleil revint d'un coup. Les lèvres s'ouvrirent sur un sourire et chacun de nous prit sa respiration pour dire : …